INITIUM MARIS
NICOLAS FLOC'H
06.11.25 - 20.12.2025
La galerie Maubert présente du 6 novembre au 20 décembre une exposition personnelle de Nicolas Floc’h, réunissant trois ensembles de son corpus Paysage productif : Initium Maris, La couleur de l’eau et Deep Sea, et rassemblant exclusivement des photographies réalisées dans la Bretagne natale de l’artiste.
Depuis près de dix ans, Nicolas Floc’h développe un travail pionnier sur la représentation des paysages sous-marins. Ses photographies, nourries par des échanges avec des équipes scientifiques et citoyennes, s’attachent à documenter les habitats, les transformations et les équilibres fragiles qui composent l’océan.
Entièrement consacrée au littoral breton, Initium Maris (2018-2021) est une expédition artistique menée par l’artiste à bord du ketch OAO, sur 65 sites, de Saint-Nazaire à Saint-Malo. Ces images composent un fonds unique de vues panoramiques des paysages sous-marins à un instant donné, dans un contexte marqué par le changement climatique.
La couleur de l’eau explore les variations chromatiques du milieu marin, révélatrices de sa composition biologique et des pressions exercées par les activités humaines. Des teintes chaudes des fleuves, où la forêt et les terres s’infusent, jusqu’aux bleu-vert de l’océan, l’eau dévoile une étonnante diversité de nuances. Enfin, Deep Sea ouvre une fenêtre rare sur les grandes profondeurs, entre 700 et 1800 mètres : seule série réalisée en lumière artificielle, elle fait apparaître une esthétique inédite des abysses.
Entre rigueur documentaire et puissance poétique, ces trois ensembles complémentaires invitent à reconnaître la richesse du territoire breton, ainsi que la complexité et la vulnérabilité d’un monde invisible mais essentiel.
Il y a 20 000 ans, à l’époque glaciaire, les îles du Ponant étaient les points culminants des plaines du plateau continental, reliefs émergés et visuellement perceptibles [1]. L’élévation du niveau de la mer a progressivement détaché ces terres du continent, modifiant leur accès - impliquant la surface de l’océan qu’il faut parcourir à l’aide d’une embarcation - et métamorphosant ainsi la dynamique de leurs abords, territoires désormais océaniques. Ce « nouvel espace » maritime confronté aux effets transformationnels du vivant aquatique et à la puissance des éléments, mute donc d’un territoire émergé, de ce que les Latins nommeront « Finis Terrae » (Finistère), en un monde immergé « Initium Maris » [2] - Le début de la mer.
Sous la surface, nous basculons dans cet « invisible parallèle » aux territoires fertiles. Surgissant des profondeurs, les forêts côtières s’étendent à perte de vue. Les laminaires dansent dans les courants, les canopées d’hymantales se courbent à la surface, les sables côtoient les prairies sous-marines de zostères. À pic, des tombants rocheux mouchetés d’oursins, des éponges jaune citron et des gorgones apparaissant à mesure que la lumière s’épuise. L’eau, celle du large, plus bleue - glaz - garde suffisamment du vert des côtes, de ces sédiments fertiles et microalgues, pour qu’en dessous, le regard se perde dans la couleur. Ici, le paysage est formé du visible et de l’invisible. Dans un paradoxe sublime, l’invisible détermine le visible, le microscopique devient paysage, non par le biais d’un agrandissement, mais par accumulation dans l’immensité. Les planctons, les matières organiques et inorganiques dissoutes dans les masses d’eau deviennent couleur, densité ou transparence dans les vues panoramiques. Le vivant est partout, interagissant et déterminant cette spécificité de l’espace sous-marin où le point de fuite du paysage tend, non pas vers l’horizon, mais vers le monochrome.
La couleur s’intensifie et s’unifie avec la profondeur. Alors, le noir et blanc des images nous dévoile le dessous des îles, géographie aux paysages inaccessibles. Les nuances de gris, de noir font apparaître des étendues imaginaires surgissant d’autres mondes que nous pourrions habiter si nous ne l’habitions pas déjà. Cet espace invisible, mais proche, tantôt accueillant, tantôt inquiétant, souvent mystérieux, est en pleine mutation. En conserver une image à un instant donné, le montrer, le faire exister dans sa banalité, sa réalité, semble plus que jamais essentiel.
Nicolas Floc’h, 2022
[1] A l’époque glaciaire, l’océan était 120m plus bas, les îles du Ponant faisaient alors partie de l’espace terrestre.
[2]
Initium Maris est une expédition artistique que j’ai menée entre Saint-Malo et Saint-Nazaire, le long des côtes et des îles, de 2018 à 2021.