MANIPULATIONS


PHILIPPE GRONON

19.02.2026 - 04.04.2026

Dossier de presse

La Galerie Maubert présente, du 19 février au 4 avril 2026, la toute première exposition personnelle de Philippe Gronon au sein de la galerie. Inaugurant une nouvelle collaboration artistique entre la galerie et le photographe, Manipulations réunit des photographies issues de plusieurs séries emblématiques et dévoile des objets marqués par l’usage, la trace et le déplacement au service d’une picturalité assumée : surfaces de travail, dispositifs techniques, éléments scéniques, supports de transmission ou de transformation.


Le titre évoque le maniement quotidien de ces objets utilitaires, souvent invisibles car constamment employés, tout en suggérant en filigrane, une réflexion sur l’acte photographique et la manipulation des images, au cœur de la pratique de l’artiste. Depuis la fin des années 1980, Philippe Gronon développe en effet une œuvre fondée sur un protocole strict et constant, visant à une restitution rigoureuse et non interventionniste du réel. Il travaille - à la chambre photographique ou par numérisation - selon un principe sériel, cadrant frontalement des objets généralement plans, au plus près, toujours à l’échelle1, détourés de tout contexte. Coffres-forts, tableaux électriques, écritoires, cuvettes de développement, pierres lithographiques ou versos de peintures sont photographiés sans mise en scène ni profondeur illusionniste. Le spectateur est placé face à une image qui affirme la présence pleine et immédiate de son motif.

Ce parti pris formel s’accompagne d’une attention extrême portée à la qualité du tirage. Longtemps en noir et blanc, puis ponctuellement en couleur à partir des années 2000, les images cherchent à réduire toute expressivité subjective afin d’intensifier la présence de l’objet. Elles adoptent les dimensions exactes de celles des objets photographiés, renforçant l’impression d’une confrontation directe entre l’image et son référent. 


Aussi la pratique de Philippe Gronon souligne le caractère construit de toute représentation. La photographie se présente comme un objet conventionnel, inscrit dans l’espace de l’art, assumant pleinement son statut de tableau accroché au mur. Cette mise en forme, parfois précisée par de subtiles interventions sur le cadre ou les marges, rappelle que l’image repose toujours sur une série de règles, d’ajustements et de décisions. Ainsi les objets représentés se détachent progressivement de l’image fonctionnelle que l’on en a. Leur présence visuelle s’affirme et ouvre un champ de lecture inédit. Un tableau noir peut ainsi devenir tableau - surface picturale à part entière, les traces de la brosse sur la craie évoquant l’abstraction gestuelle ; les grattoirs de boîtes d’allumettes se lisent comme des pastels miniatures, où affleure une forme d’abstraction lyrique ; la multitude de fils multicolores traversant une couverture de transport se mue en autant de giclures de peinture... 


Comme le souligne l’artiste, ces objets étaient toujours en activité au moment de leur photographie : on ne les remarque pas, précisément parce qu’on s’en sert. Les isoler, les cadrer, les porter à l’échelle de l’image revient à suspendre leur fonction pour mieux révéler leurs qualités formelles, mais aussi les usages et les gestes dont ils portent la trace. Le respect du format réel, la précision du cadrage puis du tirage, invitent le regard à s’attarder sur les détails, tout en ouvrant une réflexion sur ce que ces surfaces révèlent des activités humaines, des pratiques de travail et des processus de pensée. Certaines œuvres prennent ainsi la forme de relevés minutieux de surfaces d’inscription : écritoires, cuvettes photographiques ou martyrs portent les marques de gestes répétés, d’effacements, de frottements. Ces traces empêchent toute dérive vers une abstraction désincarnée ; elles inscrivent l’image dans une temporalité concrète, chargée d’usages, d’histoire et de pratiques humaines.


La série des Versos, initiée dans des collections privées puis poursuivie dans de nombreuses institutions (Centre Pompidou, Louvre, Musée Picasso, MAMAC, musées des beaux-arts de Dijon, Nantes, Amiens, Saint-Étienne…), occupe une place centrale dans l’exposition. En photographiant l’envers de peintures — d’artistes anonymes comme de figures majeures, toutes époques confondues — Gronon déplace le regard vers les coulisses de l’œuvre. Étiquettes, inscriptions, châssis, traces de conservation ou de manipulation deviennent autant d’indices matériels, offrant une autre lecture de l’histoire de l’art, plus factuelle, plus silencieuse, mais profondément révélatrice.


L’ensemble de ces séries témoigne d’un intérêt constant pour les objets de transition, qui, par leur fonction même, sont voués à l’effacement. Leur mise en image les impose soudain au regard, leur conférant une présence presque hiératique. Le spectateur est invité à scruter le détail le plus infime, tout en s’interrogeant sur ce que ces surfaces révèlent — ou dissimulent — de l’activité humaine, du travail, de la mémoire et de la création.

En extrayant ces objets de leur contexte fonctionnel sans jamais les transformer, Philippe Gronon les fait basculer dans un autre régime de visibilité. Débarrassés de leur utilité immédiate, mais porteurs des stigmates de leur usage, ils existent désormais comme images, révélant leur puissance formelle et ouvrant un espace de réflexion sur les conditions mêmes par lesquelles une chose devient œuvre d’art.